Lettre de l’Imâm Mâlik à Layth Ibn Sa`d

—  Le mérite de la science des gens de Médine et des anciens ayant suivi leur exemple, et le fait de la préférer à celle des autres  —

De Malik Ibn Anas à Layth Ibn Saad, Paix sur vous, louanges pour vous à Allah l’Unique. Ensuite, Allah nous a préservé, ainsi que vous, par son obéissance, secrètement et ouvertement, et nous a protégés de toute chose détestable.

Je t’écris en étant, moi et ma famille, aussi bien que tu souhaiterais, Allah est loué. Ta correspondance nous est parvenue, où tu évoques ta condition et le bien de Allah sur toi, ce qui m’enchante. Je prie Allah de nous combler, toi et moi, du meilleur qu’il donne, et de nous permettre de mieux Le louer.

Et j’ai compris ce que tu as évoqué à propos de certains livres que tu m’as envoyés afin que je te donne mon avis à leur propos(1) avant de te les retourner. Ce que j‘ai fait en y modifiant ce que j’ai modifié, pour que cela devienne aussi authentique que tu le souhaiterais. J’ai apposé mon sceau sur chacun d’eux (sur le « qondaq »)(2) gravé « Allah me suffit, et Il est mon garant ».

C’était un plaisir pour moi de te préserver et de répondre à tes besoins, ce que tu mérites. Je t’ai alors consacré un moment de ma personne dans lequel je n’eus de cesse d’accomplir cela (3) . Ils te seront retournés avec le même messager, à qui je les ai remis, en ayant accompli ce que je pense t’être dû.

Que tu demandes mon avis m’a grandement encouragé à entamer ma lettre par t’adresser un conseil, et j’espère que celui-ci sera le bienvenu auprès de toi (4) . Je m’en serais abstenu si tu ne m’avais pas écrit et demandé mon avis, par crainte que tu penses que mon opinion de toi ne soit pas belle.

Et sache, qu’Allah t’accorde Sa miséricorde, qu’il m’a été rapporté que tu rends des avis juridiques contredisant ceux de l’ensemble de nos savants, dans notre pays où nous nous trouvons, et cela malgré ton rôle d’imâm, ton mérite, ta position parmi les tiens, qui comptent sur toi et sur ta sagesse : tu devrais craindre pour ton âme et suivre ce par quoi tu espères le salut.

Car Allah tout puissant dit :

وَالسَّابِقُونَ الأَوَّلُونَ مِنَ الْمُهَاجِرِينَ وَالأَنصَارِ وَالَّذِينَ اتَّبَعُوهُم بِإِحْسَانٍ رَّضِيَ اللَّهُ عَنْهُمْ وَرَضُواْ عَنْهُ وَأَعَدَّ لَهُمْ جَنَّاتٍ تَجْرِي تَحْتَهَا الأَنْهَارُ خَالِدِينَ فِيهَا أَبَدًا ذَلِكَ الْفَوْزُ الْعَظِيمُ

« Les tout premiers [croyants] parmi les Émigrés et les Auxiliaires et ceux qui les ont suivis dans un beau comportement, Allah les agrée, et ils l’agréent. Il a préparé pour eux des Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux, et ils y demeureront éternellement. Voilà l’énorme succès »(5)

Et Il dit :

وَالَّذِينَ اجْتَنَبُوا الطَّاغُوتَ أَن يَعْبُدُوهَا وَأَنَابُوا إِلَى اللَّهِ لَهُمُ الْبُشْرَى فَبَشِّرْ عِبَادِ الَّذِينَ يَسْتَمِعُونَ الْقَوْلَ فَيَتَّبِعُونَ أَحْسَنَهُ أُوْلَئِكَ الَّذِينَ هَدَاهُمُ اللَّهُ وَأُولَئِكَ هُمْ أُوْلُوا الأَلْبَابِ

« Et à ceux qui s’écartent des Taghut pour ne pas les adorer, tandis qu’ils reviennent à Allah, à eux la bonne nouvelle ! Annonce la bonne nouvelle à Mes serviteurs, qui prêtent l’oreille à la Parole, puis suivent ce qu’elle contient de meilleur. Ce sont ceux-là qu’Allah a guidé et ce sont eux les doués d’intelligence » (6) .

Les gens suivent les savants de Médine, terre de l’Hégire, où le Coran est descendu, le Halal y a été autorisé et le Haram y a été interdit. Le Prophète ﷺ a vécu parmi eux et ils ont assisté au message et à la révélation. Il leur a ordonné et ils lui ont obéi, il a institué la sunna et ils l’ont suivi, jusqu’à ce qu’Allah le rappelle à Lui et choisisse pour lui ce qu’Il a auprès de Lui, prières, salut miséricorde et bénédictions d’Allah sur lui.

Puis sont venus après lui ses plus fervents disciples au sein de sa Communauté qui lui succédèrent à la gouvernance. Pour chaque situation donc il avait connaissance du comportement à avoir, ils appliquaient celui-ci, et s’il n’en avait pas connaissance, ils demandaient. Puis ils prenaient ce qu’ils trouvaient de plus fort parmi ces premiers avis, selon leur ijtihâd. Et si quelqu’un les contredisait, ou qu’une personne leur donnait un avis plus fort et plus adéquat, leur paroles étaient délaissées et l’autre avis était appliqué.
Puis les Successeurs après eux ont emprunté la même voie, et le même cheminement.

Donc si le sujet est connu et pris comme référence à Médine, personne ne devrait le contredire, du fait que les gens de Médine ont entre les mains de cet héritage ce dont personne d’autre ne peut s’approprier ou se réclamer.

Ainsi, si des gens d’autres villes commencent à dire : « c’est ainsi dans notre pays, et ça l’a toujours été », ils n’ont pas en cela de certitude, et ils n’ont pas accès à ce à quoi avaient accès les gens de Médine.

Donc réfléchis, qu’Allah t’accorde Sa miséricorde, à ce que j’ai écrit, et sache que j’espère que ce qui m’a poussé à t’écrire ceci, était uniquement le conseil pour Allah Très-Haut et Unique, ma prévenance envers toi et mon estime pour toi.

Accueille donc bien ma lettre, car si tu le fais, tu verras que je ne ménage pas mes conseils pour toi. Qu’Allah nous aide à Lui obéir, ainsi qu’à Son messager, dans chaque chose et dans chaque état. Que la paix, la miséricorde et la bénédiction d’Allah soit sur toi.

Rédigée le dimanche 9 Safar


(1) Pour les lire et donner mon avis. Et il paraît de la lecture de cette lettre et de la réponse qui suit, que des livres sont parvenus à l’imam Layth des gens de Médine concernant leurs affaires, et celui-ci a voulu s’assurer de la véracité de ce qu’ils contenaient, puis ce dernier les a retournés à l’Imam Malik à Médine, qui s’en est occupé et a fait le nécessaire comme sera expliqué.

(2) Qondaq – ou fondaq – c’est un terme perse ayant plusieurs sens. Ce serait ici : Une feuille à écrire qui s’enroule. On apposait un sceau à la fin de chaque feuille pour éviter que quelqu’un y ajoute quelque chose.

(3) C’est-à-dire : « je t’ai réservé du temps où je n’ai pas travaillé, afin de te rendre ce service en lisant ces livres ».

(4) C’est-à-dire que l’avis demandé par Layth à Malik montre sa modestie, sa sincérité et sa volonté de déterminer le vrai du faux, ce qui a encouragé Malik à commencer sa lettre par un conseil.

(5) Surat At-Tawba V. 100

(6) Surat Zumar V. 17-18


Source : Namâdhij min Rasâ’il A’immat As-Salaf wa Adabihim Al-`Ilmî wa Akhbârihim fi Adab Al-Khilâf – Cheikh Abd Al Fattah Abu Ghudda